Apprendre à cuisiner !
Posted: 02 Feb 2022 10:59 PM PST par Hervé THIS
Je viens de comprendre qu’il y a lieu de mieux apprendre la cuisine que comme on le faisait par le passé, et cela tient dans cette phrase : la cuisine, c’est la de technique, de l’art, de l’amour.
Je sais bien que le titre du livre que j’ai publié précédemment, c’est l’inverse : la cuisine c’est de l’amour, de l’art, de la technique. Mais quand même, on ne pourra rien exprimer artistiquement si l’on n’a pas la technique nécessaire pour le faire.
J’ai l’habitude de comparer la cuisine à la peinture, à la musique ou à la littérature : un peintre qui ne saurait pas éviter à la peinture de couler ne pourrait pas réaliser une toile ; un musicien qui ne saurait pas poser correctement les doigts sur le piano ne pourrait pas jouer une musique ; un écrivain qui ignorerait l’orthographe, la grammaire, la rhétorique ne pourrait pas produire une œuvre littéraire.
En cuisine, il en va de même et je crois que nous devrions séparer les différentes composantes quand nous découvrons une recette.
Par exemple, imaginons que vous nous voulions faire des pâtes aux couteaux.
Bien sûr, il peut y avoir un protocole que l’on suivrait machinalement, mais c’est quand même mieux de bien comprendre que les couteaux restent tendres quand ils sont cuits 5 minutes seulement dans un four, auquel cas ils s’ouvrent spontanément. Pour les pâtes, il y a lieu de comprendre qu’il suffit d’une dizaine de minutes de cuisson dans une grande quantité d’eau salée pour qu’elles restent al dente.
Là, on a un bon début. Mais on n’a pas réglé la question du goût, et cette question du goût nous imposera peut-être d’utiliser des oignons et de l’ail. Pour avoir un bon goût avec ces produits, on pourra par exemple considérer des questions techniques, à savoir que les oignons prennent une odeur envoûtante quand on les cuit, ou que le sel peut contribuer à changer leur couleur. Du point de vue technique, il faut de la matière grasse soit doucement chauffée. Si on veut un goût plus puissant, alors on pousse le feu et l’on obtient une couleur plus soutenu. Pour l’ail, il y a lieu de savoir que l’ail cru donne un goût bien différent de l’ail grillé, que l’on peut obtenir des pétales grillés en chauffant des lamelles d’air dans de l’huile jusqu’à ce qu’elles brunissent.
Mais le choix de la pratique est « artistique » : il faut avoir son idée du « bon ».
Choisir de l’ail cru ou de l’ail grillé ? Un choix artistique. Apporter de la douceur ? Un choix artistique. L’apporter par l’oignon plutôt que par la tomate, ou bien l’inverse ? Un choix artistique.
Et là, il faudra de l’inventivité, car des pâtes à l’eau, c’est triste : le goût se construit, et il est naïf de croire qu’il est donné par un ou deux ingrédients. Pensons à des pistaches, des raisins secs gonflés, des anchois, etc.
L’accumulation des ingrédients, toutefois, ne doit pas faire perdre la ligne artistique… qui doit donc être créée antérieurement. S’impose une volonté qui guide l’ensemble de nos choix.
Pour la musique, au lieu de mettre des notes au hasard, il faut donner une organisation musicale. Pour la cuisine il en va de même : au lieu de mettre des goûts au hasard, il faut faire plus que se contenter de penser en termes de contraste, et il faut une raison pour employer un ingrédient plutôt qu’un autre.
On n’oubliera pas, enfin, que j’ai parlé d’amour, de lien social : tout ce que nous préparons devrait être composé en vue du bonheur de nos amis.
Par exemple, faut-il mélanger tous les ingrédients ou, au contraire, les répartir de façon visible, afin qu’il constatent que nous avons fait quelque chose pour eux ? Ma réponse est surtout de ne pas choisir entre les deux options mais, au contraire, de les employer toutes les deux.
Par exemple, si l’on choisit de disperser les oignons brunis dans les pâtes, alors pourquoi ne pas aussi en faire un petit tas visible par-dessus, ou sur les bords ?
Par exemple, il n’est pas certain qu’il faille disperser les couteaux pour faire une masse indistincte, mais on pourra peut-être soit les aligner avec des spaghettis, soit les placer au-dessus des pâtes pour qu’ils soient bien visibles, et ainsi de suite.
L’organisation du plat est essentielle parce qu’elle dit beaucoup. Mon ami Pierre Gagnaire, par exemple, met souvent un chapeau par-dessus ses plats, quelque chose qui cache ce qu’il y a dessous, qui prépare une surprise. C’est plus délicat, évidemment, que de montrer directement ce dont qu’il s’agit… mais je suis bien sûr que même Pierre ne proposerait pas de systématiser cette solution car précisément la variété s’impose aussi.
L’art ne se réduit pas à les principes mécaniques.
Mais pour en revenir et conclure sur l’enseignement, j’observe que c’est bon de bien séparer les composantes de la cuisine, quand on apprend à la faire !
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Hervé THIS