Des questions à propos de mayonnaise et d’émulsions

Posted: 17 May 2021 04:25 AM PDT by Hervé THIS

 A propos d’émulsions, ce matin, un email :

J’ai quelques questions concernant la mayonnaise et les « ollis ».
-Vous indiquez dans un article sur votre blog le rôle important des protéines dans la stabilisation des mayonnaises.

-Quel est leur rôle moléculaire dans cette stabilisation ?
-Quelles sont les molécules tensioactives qui peuvent être utilisées pour les « ollis » ?

En quoi sont-elles justement tensioactives ?

Et ma réponse :

Puisque je fais une réponse collective, il faut que j’explique bien de quoi me parle mon interlocuteur.
1. une sauce mayonnaise s’obtient en battant de l’huile dans un mélange de jaune d’oeuf et de vinaigre, salé et poivré (pas de moutarde, sans quoi on fait une rémoulade, et non pas une mayonnaise)
2. les ollis sont une de mes très anciennes inventions : ce sont des émulsions que l’on obtient en battant de l’huile, comme pour une mayonnaise, mais dans un légume broyé, un fruit broyé, une viande broyée, un poisson broyé, etc.
3. une émulsion est un système physique composé d’une dispersion de gouttes d’huile (par exemple) dans une phase aqueuse (j’insiste : par exemple) ; de sorte qu’une sauce mayonnaise (par exemple) est effectivement une émulsion.

Tout cela étant dit, oui, plusieurs de mes billets de blog évoquent le rôle des protéines dans les émulsions. J’écris notamment que l’on a longtemps cru que les « phospholipides » étaient les tensioactifs importants pour les émulsions alimentaires, mais on a progressivement que les protéines sont bien plus efficaces.

Dans le paragraphe précédent, on observera que je ne reprends pas l’expression de mon interlocuteur « stabilisation des mayonnaises », car elle est doublement épineuse :
1. d’une part, les émulsions ne sont jamais stables, parce que l’huile, moins dense que la phase aqueuse, crème, et l’eau sédimente, draine ;
2. d’autre part, le mot « stabilisation » me gêne, parce qu’il peut tout aussi bien signifier :
– rendre stable : ce n’est pas le cas
– augmenter la stabilité : c’est le cas.
Pour les protéines (du jaune d’oeuf) comme pour les phospholipides (également dans le jaune), la question est moins de « stabiliser » que de diminuer l’énergie interfaciale, l’énergie qu’il faut apporter pour augmenter la surface de contact entre l’eau et l’huile. C’est pour cette raison que protéines et phospholipides sont des « tensioactifs », littéralement actifs sur la tension de surface.

Pour les deux types de composés, les molécules se disposent sont à l’interface eau-huile, avec  une partie dans l’eau et une partie dans l’huile. Et c’est cette double « affinité » qui réduit la tension de surface, l’énergie qu’il faut donner pour disperser des gouttes d’huile dans l’eau.

Quels composés tensioactifs pour les ollis ? Tous les tissus végétaux ou animaux sont faits de cellules, limitées par des doubles couches de phospholipides, et tous contiennent des protéines… mais les protéines sont plus efficaces que les phospholipides, en quelque sorte (cela vaut pour la mayonnaise), parce que ce sont de grosses molécules, électriquement chargées, de sorte qu’elles forment d’encombrants chevelus qui se repoussent, à la surface des gouttelettes : ces dernières ne peuvent guère s’approcher les unes des autres, de sorte que les émulsions sont alors stabilisées (au sens de stabilité augmentée), contre la coalescence (la fusion des gouttes d’huile voisine).

Reste la dernière question  : en quoi les composés tensioactifs sont-ils tensioactifs ? Je ne suis pas certain de bien comprendre la question, mais j’ai expliqué plus haut que les  molécules des composés tensioactifs se disposent à l’interface eau huile (pensons la surface des gouttes d’huile dispersées), et évitent que les gouttes ne fusionnent.
J’aurais pu ajouter que :
– pour les phospholipides, la tête phosphate électriquement chargée reste dans l’eau, tandis que les pattes lipophiles se disposent dans l’huile
– pour les protéines, il y a des segments qui sont solubles dans l’eau, et d’autres qui sont solubles dans l’huile ; les protéines forment des « trains » et des boucles », à l’interface eau-huile.

Ai-je répondu à la question ?

Hervé THIS

THIS Hervé DR