Beaujolais : le monde est son territoire
le 28 août 2018 – Michel GODET – Gastronomie / Vins
S’il est bien un vin dans le paysage viticole français qui est aussi médiatique, que convivial mais aussi qualitatif, c’est bien le beaujolais.
Situé dans le département du Rhône et dans quelques communes de Saône-et- Loire, le vignoble a été élevé au rang d’appellation en 1937, avant d’être mis sous les lustres de la médiatisation dès la
seconde moitié du XXe siècle, par le truchement du phénomène «beaujolais nouveau ».
Son taux de notoriété devient alors mondial grâce à son principal cépage, le Gamay, et l’on va le retrouver rapidement aussi aux USA, qu’en Asie et bien entendu en Europe.
Pour autant, durant de longues années, malgré quelques initiatives individuelles, pas de réelle mobilisation générale pour redorer l’image d’un vin trop limité à son caractère primeur et festif.
Aujourd’hui, l’Inter Beaujolais (Union interprofessionnelle des vins du Beaujolais) présidée par Dominique Piron, a décidé de reprendre les choses en main, de repositionner cette appellation, mais aussi d’envisager l’avenir avec un réel optimisme.
Beaujolais : ancrage local et mondial
Le beaujolais et Lyon entretiennent une histoire et un avenir indissociables. Ne dit-on pas du reste que le beaujolais est le troisième fleuve de Lyon ! Du reste, il s’agit de l’un des breuvages les plus connus au monde.
Riche de sa diversité le vignoble, tantôt aux allures toscanes, tantôt riche de ses collines et autres pierres dorées, s’étend depuis le début du XVIe siècle sur 50 kilomètres du nord au sud, lové entre les contreforts du Massif-central et la plaine de la Saône.
Si le Gamay noir à jus blanc en est le cépage emblématique et prépondérant (98%) on trouve aussi en faibles quantités des Chardonnay et même des Pinot.
Avec des traces de viticulture en 59 av. JC, son essor remonte au XVIIe où on le trouve surtout en pot dans les estaminets et bouchons lyonnais.
Tout change en 1951, date de la première mise en commercialisation des beaujolais nouveaux, ainsi qu’en 1985 avec un décret fixant au 3e jeudi de novembre leur mise en consommation. Une évolution qui a alors
permis de faciliter la mise en marché de quelque 500 000 hectolitres.
Epoque bénie de quelques jours uniquement qui en a fait rapidement un vin de fête avec la médiatisation mondiale qu’on lui connaît.
Tous les moyens étaient alors bons (Avions, camions, motos, parachutes, voitures de course…) pour que l’on puisse mettre les tonneaux en perce à minuit de Beaujeu à New-York, en passant par Paris, Tokyo et s’arroger le droit de dire sur la planète « J’ai été le premier a en boire ! ».
La convivialité en étant le leitmotiv avéré.
Et puis, de l’eau a coulé sous les ponts et ce phénomène international a perdu de sa force au fil du temps, changement de générations, évolution sociologiques ou encore arrivée sur le marché de pays émergents, aidant, certains parlant même de crise.
Mais ces ouvriers du beaujolais ne sont pas hommes à s’en laisser compter. Ils ont repris les choses en main, aujourd’hui sous la houlette du président de l’Inter, Dominique Piron et de son équipe.
Ainsi afin de changer une image de marque et une notoriété essentiellement centrées sur les primeurs, il a été décidé de considérer le vignoble dans son entité et non plus seulement sur les vins nouveaux.
En effet, le vignoble, dans un esprit de partage et de diversité, sait proposer des vins de fête, mais aussi d’exception, particulièrement avec ses dix crus.
Désormais on va parler non plus de créneaux, mais de gamme. Cette diversité de qualité, mais aussi d’approche, implique essentiellement les rouges et les blancs, avec quelques rosés.
Réécrite pour ne pas dire enfin écrite, cette stratégie permet ainsi à l’Interprofession de maîtriser le jeu, en lieu et place des vins primeurs.
Avec les « nouveaux », la légitimité est bien à la fête sur la planète entière faisant dire que « pour le beaujolais le monde est bien son territoire ».
Quant au beaujolais de caractère, c’est sous le signe de la « Beaujonomie » qu’il s’inscrit. Toujours centré sur la convivialité, il est le lien propice à un partage, plutôt qu’à une réelle dégustation.
Il en ainsi en Asie particulièrement, qui cherche des vins de qualité, faciles à boire, sur le fruit, la fraîcheur.
Quant au haut du panier, labellisés Climats by Beaujolais, celui-ci regroupe des vins d’exception. Certes les crus en sont l’apanage, mais pas que !
Dominique Piron insiste : « Chacun doit pouvoir y trouver sa place et proposer dans sa gamme des vins encore plus «quali», tant sur la qualité, que sur la sélection (Cuvées spécifiques, parcellaires, élevages différents…).
C’est sans conteste ainsi que l’on pourra parler d’une véritable gamme et la valoriser davantage ».
Michel Godet
Le beaujolais en chiffres
Sur un territoire de 160 000Ha, le beaujolais en occupe 10% sur 55 Km du nord au sud, caractérisés par douze crus que sont les beaujolais, beaujolais villages, chenas, chiroubles, régnié, saint-amour, brouilly, côte de brouilly, morgon, fleurie, moulin à vent et juliénas.
Datant de 1937 les appellations (Régnié étant la plus récente) et les vins primeurs (1/4 de la production totale seulement) sont à 98% des rouges (cépage exclusif Gamay noir à jus blanc) et des blancs pour 2%
(cépage Chardonnay).
Sur une production annuelle moyenne de 800 000Hl (650 000 Hl et environ 85 millions de cols lors de la dernière récolte) réalisée avec 1947 exploitants sur 2 714 exploitations d’une superficie moyenne de
10Ha (chiffres 2015) et une douzaine de coopératives, 40% partent à l’export (USA, Canada, Royaume-Uni, Japon et de plus en plus vers la Chine…) soit en direct, soit grâce à 151 négociants.
Si le CA représente environ de 300 à 400 millions d’euros, celui de la filière toute entière avoisine le milliard.
Trois focus en beaujolais
Hameau Dubœuf : le premier œnoparc
Comment ne pas parler du premier parc de la vigne et du vin, prix national de l’œnotourisme en 2010, accueillant plus de 100 000 visiteurs par an ?
Sur plus de 30 000 m2, le site propose depuis plus de vingt cinq ans sur ses différents pôles (le hameau du vin, la gare, le centre de vinification, le musée ou encore le jardin) tout l’univers de la vigne et du vin : ses 2000 ans d’histoire et ses nombreux métiers, agrémenté d’animations, de collections, d’expositions pérennes ou temporaires, d’automates, sans oublier l’exceptionnel cinéma dynamique visionné depuis des simulateurs.
Créé à l’initiative de Georges Dubœuf, de son fils Franck et animé par son épouse Anne Dubœuf, le site est en constante évolution, avec régulièrement de nouvelles installations pour petits et grands.
Ludique, cette visite à laquelle il est bon de consacrer du temps, est également didactique, n’en prenons pour preuve que la découverte des cinq sens destiné à un jeune public.
Last, but not least, le Hameau possède également un restaurant gourmand, « Le café des deux horloges » avec terrasse, un espace séminaire équipé des nouvelles technologies, une superbe et prestigieuse salle de réception et dégustation animée par un limonaire d’époque, sans oublier sa boutique et sa collection de vins du monde.
Bien plus qu’un simple lieu touristique jouxtant les Vins Georges Dubœuf, le Hameau Dubœuf en Beaujolais a su mettre en avant tous les métiers de la vigne et du vin, mais aussi l’histoire du beaujolais dont il est quelque part le gardien.
Château Thivin : «Franc redémarrage», du beaujolais
S’il se définit comme le plus ancien domaine viticole du Mont Brouilly, Château Thivin peut s’enorgueillir d’une histoire qui remonte au XIVe siècle.
C’est en 1877, année de fortes gelées et du phylloxéra, que le château Thivin (du nom de l’ancien propriétaire) devient la propriété de la famille Geoffray, forte de 2 hectares de vignes. Le premier de la
lignée se prénommant Zaccharie, jusqu’alors fermier caladois.
Claude et désormais son fils Claude-Edouard (6e génération) perpétuent la tradition familiale tout en agrandissant le domaine et la superficie des vignes (30 ha à présent), au cœur de la colline de Brouilly, dont il est l’une des ferventes et qualitatives expressions, en Côte de Brouilly rouge et un peu en blanc (5%).
Au-delà d’une histoire patrimoniale, c’est surtout le reprise du domaine par un jeune vigneron de 38 ans qui force l’admiration, à l’époque où l’on note une désertification du métier, quand bien même des « étrangers » s’y intéressent.
Une gageure pour Claude-Edouard, qui a fourbi ses armes à l’école de Changins (Suisse), comme dans plusieurs domaines français et étrangers.
Certes, il s’appuie sur un passé, sur un patrimoine, mais dans ce domaine rien n’est jamais acquis, tant il est vrai que de nombreux paramètres peuvent modifier la donne : économiques, sociétaux, climatologiques et bien entendu boursiers. Le tout, boosté par les pays émergents et un nouveau type de consommation.
Droit dans ses bottes, le jeune repreneur parle d’un «franc redémarrage du beaujolais», avec lucidité, clairvoyance et comme fondements la qualité de ses flacons et cuvées, des vendanges entièrement manuelles, un respect environnemental prégnant , le respect de la biodiversité, sans omettre la tradition, ainsi que des vinifications parcellaires. Qualité et pérennité sont à ce prix.
Domaine Olivier Pezenneau : faire grimper l’appellation beaujolais blanc
A 38 ans, Olivier Pezenneau fait parti de cette nouvelle et jeune génération de vignerons qui, sans vouloir forcément tout révolutionner, ont compris qu’une page de l’appellation se tournait et que l’avenir était devant eux.
Après des études œnologiques au lycée viticole de Davayé (1996-2000), il reprend le domaine familial de 12 ha à Lacenas-Cogny, essentiellement orienté sur le négoce en primeurs et en beaujolais, avec la volonté de le refondre.
Courageusement, il en arrache la moitié et plante par ailleurs du Chardonnay pour une commercialisation
diversifiée (Crémant, Bourgogne, négoce, bouteilles …).
La situation le pousse alors à changer son fusil d’épaule et à rechercher des crus « pour sortir du bazar ».
Il trouve alors un autre domaine (12ha) à Saint-Lager Charantay de belles et vieilles vignes (90-100 ans) et en garde 6 ha seulement. Qualité, mise en bouteilles (30 000 flacons prévus en 2018) et cépage
blanc sont désormais sa priorité, l’ensemble regroupé dans son caveau de Saint-Lager.
Revenant sur sa volonté de faire grimper l’appellation beaujolais blanc, Olivier Pezenneau pense que c’est l’un des avenirs du vignoble, un avenir qui répond à une demande de plus en plus forte et davantage
valorisable « car tout le monde en recherche ».
Pour autant que le négoce joue le jeu. « Le négoce nous a forcé à planter des blancs sans pour autant nous trouver des débouchés ». Par contre, l’Interprofession et son président Dominique Piron ont pris le
problème à bras le corps, afin de voir un avenir plus souriant.
Quant au vignoble dans son entité, alors que les anciens passent la main, le vigneron note que sa jeune génération va reconstruire et sans doute passer plus de temps dans la commercialisation que dans les
vignes.
Une nécessité pour ces vins à l’imbattable rapport prix-qualité-plaisir dont la convivialité reste le maître mot. Une nouvelle ère s’installe !