Le CALM (Cercle des amis de Louis Mouillard) , présidé par Philippe Treillet, nous propose cette fois cet excellent article, à l’occasion du 70e anniversaire des atterrissages clandestins dans l’Ain. Certes un document un peu long, mais qui mérite d’être lu et imprimé.

Le samedi 21 septembre 2013, à 14h 45, sera commémoré le 7Oe anniversaire des atterrissages clandestins dans la Plaine de l’Ain. Une cérémonie aura lieu au lieu-dit ‘Les Bergeries’  à Saint Vulbas (Ain) devant le monument «Aux Passeurs du clair de lune», commémorant l’action et le courage des pilotes du 161st squadron de la Royal Air Force.

Un hommage sera rendu aux équipes de réception composées de résistants locaux. A l’issue de la cérémonie, au Centre International de Rencontres de Saint Vulbas, évocation des témoignages sur ces événements suivi d’un vin d’honneur.

Accès: En venant de Lyon par autoroute A 42, sortie n° 7 direction Saint Vulbas. Dans le carrefour, en arrivant à Saint Vulbas, prendre la route en direction de Sainte Julie. La stèle se trouve en bordure de route, à gauche, à hauteur du hameau Les Bergeries.

Historique des opérations clandestines dans la plaine de l’Ain au cours de la Seconde Guerre mondiale

Un parachutage d’armes a lieu à Blyes dans la nuit du 28 au 29 mai 1942 pour le compte du réseau ‘Coq Enchaîné’. Le message de confirmation qui a été émis par la BBC était  «Nicolas dit salut aux vivants». La localisation exacte de ce parachutage pourrait être sur le lieu du futur terrain ‘Figue ».

A son retour d’Angleterre, le 31 août 1942, Henri MORIER constitue, au sein du réseau ‘Phalanx’, une équipe qui est chargée de localiser des terrains de parachutage et d’atterrissage. Pierre DELAYE, radio et officier d’opérations aériennes, et son frère Jean se retrouvent à Loyettes chez Marius SABY  pour établir les liaisons radio avec Londres. Ils font établir l’homologation du terrain ‘Lièvre’  qui se situe  au lieu-dit ‘La Gaillarde’ entre le Rhône et la route de Loyettes à Lagnieu.

En octobre 1942, sur ce terrain, le parachutage d’un agent et de 2 ou 3 colis dans le cadre de l’opération ‘Beaujolais’ devait avoir lieu. Le message de confirmation était «Le Beaujolais est fruité et sera bu avec le Lièvre», mais l’opération n’ayant pu avoir lieu à la date indiquée, la BBC transmit le message d’annulation «Le Beaujolais est glacé et sera bu avec le Lièvre».

Edouard HERRIOT, ancien Président du Conseil et Maire de Lyon est placé en 1942 en résidence surveillée dans sa propriété de la maison-forte de Brotel à Saint Baudille de la Tour (Isère). Le 26 novembre 1942, il est transféré à Evaux les Bains (Creuse) avant d’être déporté en Allemagne. Un témoin, membre du comité de réception, nous a indiqué qu’en 1942, un  appareil allié s’était posé à l’ouest de Crémieu, à Villemoirieu, à gauche de la route conduisant à Pont de Chéruy. Le pilote a attendu pendant de longues heures l’arrivée d’Edouard HERRIOT qui devait s’embarquer dans l’avion. Mais Edouard HERRIOT, vu sa forte corpulence, n’a pu pénétrer dans l’avion…

Nuit du 11 septembre 1942, un Lysander doit se poser à la jonction de l’Ain et du Rhône dans le cadre de l’opération ‘Vesta’ sous la responsabilité de Pierre DALLAS. L’appareil ne se pose pas en raison du mauvais temps.

Nuit du 25 au 26 septembre 1942, un Lysander, piloté par le Lieutenant J.C. BRIDGER, doit se poser à la jonction de l’Ain et du Rhône dans le cadre de l’opération ‘Vesta’ sous la responsabilité de Pierre DALLAS. L’appareil se pose sous une pluie battante, mais son balisage  était disposé dans un champ de l’autre côté du Rhône, à cinq cent mètres du terrain prévu. La piste était couverte de chaume court, trempée et molle. Une roue s’enfonça jusqu’à l’axe et dut être dégagé par quatre paires de mains. Pour extraire les roues de la boue, on dut enlever les carénages du train d’atterrissage. A l’arrivée, le Commandant Léon FAYE du Réseau ‘Alliance’ qui apportait à Marie-Madeleine FOURCADE, l’argent et les codes de son réseau. Au départ, le Commandant Jean BOUTRON, mais celui-ci n’était pas là considérant que l’opération n’aurait pas lieu,  compte tenu du mauvais temps.

Le terrain ‘Lièvre’ se situe dans les landes de la plaine de l’Ain, à 3 kilomètres au nord-est de Loyettes, au lieu-dit ‘La Gaillarde’. C’est sur cet emplacement qu’était implanté le terrain d’aviation militaire qui a accueilli l’Escadrille de chasse  de nuit 5/13 (ECN 5/13) en 1940.

Ce terrain a été proposé à l’homologation de la RAF par le Réseau ‘Phalanx’.

Nuit du 14 au 15 janvier 1943, un Lysander, piloté par le Commandant Hugh VERITY,  doit se poser sur le terrain dans le cadre de l’opération ‘Corinne’,  sous la responsabilité  de  Pierre DELAYE  pour le réseau ‘Phalanx’ du BCRA. A l’arrivée, deux passagers et au départ : Christian PINEAU, Boris FOURCAUD et André BOYER.

C’est un baptême pour Hugh VERITY, car c’est son premier atterrissage clandestin en France. Le premier d’une longue série d’opérations, plus de 25.

Hugh VERITY dans son ouvrage «Nous atterrissions de nuit…» raconte:

«Pour mon second vol opérationnel, mon objectif était un terrain près de Loyettes, à l’est de Lyon -bien loin pour un Lysander. Mon appareil était le Lysander D, D comme Dog. Les grosses lettres rouges sur le côté du fuselage noir étaient «MA». Venaient ensuite la cocarde de la RAF, puis la lettre de l’appareil D. Je l’essayai en vol le matin pendant une demi-heure.

Les prévisions météorologiques étaient convenables. Il y avait bien nuages et pluie à traverser au nord et au centre de la France. Un front chaud orienté Sud Ouest-Nord Est devait couper ma route. Du moins les vents rendaient négligeables le risque de brouillard sur le terrain. Après des préparatifs très semblables à ceux du précédent envol, je décollai et suivis une route identique jusqu’à Nevers. Mais comme j’approchais de la Loire les nuages s’ amoncelèrent  sur la Normandie et le ciel s’obscurcit de plus en plus. J’allumai le cockpit, j’observai alors que je volais au travers d’une pluie froide qui recouvrait de glace les bords d’attaque des ailes. Il me fallait vérifier que le dégivrage était branché. Si le tube Pitot était obstrué par la glace, je n’aurais pas d’indicateur de vitesse et mes instruments de vol étaient mon seul point de référence dans cette pluie noire. Je mis le réchauffage-carburateur et ouvris un peu les gaz. La glace ne se formait pas rapidement, le Lysander maintenait son altitude. Il valait peut être  mieux de descendre dans de l’air un eu plus chaud tout en maintenant une altitude suffisante. Tout se passa bien et je pus sortir du mauvais temps. Mon premier point était aux environs de Chateaudun. Aux approches  de la Saône, la position était confortable sous les nuages et la nuit était assez claire pour qu’on pût apercevoir les rivières.

J’avais l’intention de faire le point entre Lyon et Villefranche. Certain de me trouver en présence de la Saône, mais pas sûr du tout de ma position au dessus d’elle, je baissai la tête pour étudier la carte, quelques secondes de trop. Quand je la relevai, je me dirigeais droit sur un grand pylône de radio. J’effectuai sur la droite un brutal virage incliné et manquai de peu l’obstacle. Les effets de «g» durent, à ce moment là, multiplier notre poids par deux ou trois, …moment d’angoisse pour mes deux passagers qui ne s’y attendaient pas. J’eus une frousse du diable à la pensée de ce que j’avais risqué. Un afflux d’adrénaline me laissa tout tremblant.

Je me repris, observai attentivement la rivière et fis le point sur la carte. Je longeai le fleuve jusqu’au point où ma ligne de route le croisait sur la carte, puis repartis en direction de mon objectif. Les lumières de Lyon étaient visibles. Mon terrain était maintenant facile à trouver, entre le Rhône et l’Ain. La lampe électrique de l’agent indiquait d’ailleurs la lettre correcte en morse. Je répondis par ma propre lettre et vis les trois autres lumières s’allumer. Leur forme en L renversé semblait si familière. Je volai parallèlement à la longue jambe du L  en regardant la direction de mon compas. J’effectuai un virage de 180 ° pour me retrouver en vent arrière à quelque 170 mètres au-dessus du sol, réduis les gaz à 160 km/h et réglai mon fletner. Je vérifiai que le mélange-carbu était normal et la manette de pas d’hélice sur petit pas. Je regardai attentivement le terrain et ses approches, il n’y avait pas d’arbres à éviter.

Puis, à cent trente mètre au-dessus du terrain, j’amorçai en douceur un virage en descente à gauche  de 180°  pour redresser au-dessus de la haie, à environ 110 km/h  avec mes becs de sécurité sortis, mes volets descendus et un peu de gaz ; puis droit en direction du sol après un minimum d’arrondi et de palier en coupant les gaz. Un peu de frein, prudemment d’abord,tandis que le Lysander avançait en s’ébrouant quelque peu. Quand l’aile gauche passa la seconde lampe, à environ cent cinquante mètres  de mon point d’arrivée, je roulais suffisamment  lentement pour effectuer un virage serré à droite, devant la troisième lampe, et me diriger vers le comité de réception à la première lampe. Pendant ce temps là, je prenais mes dispositions pour le décollage. En arrivant, aile gauche à hauteur du comité de réception, après un autre virage en épingle, j’avais encore la main droite sur l’étui de mon Luger 9 mm  placé sur le rebord du cockpit un peu en arrière et au-dessus de la manette des gaz.

Maintenant, je distingue parfaitement le petit groupe, remets à sa place le cran de sûreté du Luger, fais signe de la man, crie mes meilleurs souhaits aux passagers et ouvre le toit. L’agent responsable saute sur le carénage du train d’atterrissage et me secoue la main avec un bon sourire. Ses cheveux se trouvent dans le vent de mon hélice qui tourne encore

Au bout de quatre minutes environ l’échange des bagages et passagers est fait, l’OK de l’agent me parvient. Je m’éloigne en faisant des signes amicaux. Il est 0h 14. Mon premier atterrissage en France occupée a vraiment été très facile. Terrain bon, balisage correct, manoeuvre et réceptions parfaites.

J’avais oublié que nous avions été pris en chasse par un chasseur de nuit ennemi sur le chemin du retour, près de la côte française, et que j’avais dû zigzaguer à très basse altitude pour m’en débarrasser. J’atterris à Tangmere ayant tenu l’air huit heures et vingt minutes au total, fatigué mais très heureux. J’avais vaincu mes appréhensions; et porté le total des opérations de ramassage à vingt-huit. Nous avons offert à nos trois passagers le petit déjeuner, entendu leurs horrifiques histoires, dont je ne peux me souvenir maintenant, les avons expédiés avec leur accompagnateur et leur chauffeur et avons regagné nos lits.»

Nuit du 15 au 16 avril 1943, un Lysander, piloté par le Capitaine BRIDGER, se pose sur le terrain dans le cadre de l’opération ‘Antinea’, sous la responsabilité de Pierre DELAYE. A l’arrivée, 4 colis, et au départ, 3 passagers : le fils aîné de Christian PINEAU, Robert WACKHERR et Henri MORIER.

A l’automne 1943, afin de neutraliser le terrain, les autorités allemandes confient à l’Entreprise MAIA de Lyon la construction de massifs en pierres sèches de un mètre de hauteur disposés en spirales et espacés de trente mètres environ. Ces massifs sont coiffés d’un trépied en bois de deux mères de hauteur pris dans les blocs de pierres des massifs.

Au premier trimestre de l’année 1943, les militants du réseau de Résistance ‘Combat’ firent homologuer par la Royal Air Force quatre terrains situés dans le triangle Meximieux/Lagnieu/Pont de Chéruy :

  • Terrain ‘Cassiopée’ à environ 4 kilomètres au nord est de Loyettes.  Le terrain ‘Lièvre’ situé à 100 mètres de l’autre côté de la route par rapport au terrain ‘Cassiopée’ est également homologué.
  • Terrain ‘Croix du Sud’ à environ 8 kilomètres au nord est de Pont de Chéruy.
  • Terrain ‘Sagittaire’ à 8 kilomètres au sud est de Méximieux. Ce terrain fut refusé à l’homologation suite à l’examen par photos aériennes, la RAF proposa un terrain plus au sud, ‘Sagittaire bis’, à 3 kilomètres au nord de Saint Vulbas.
  • Terrain ‘Figue’ à environ 3 kilomètres au nord de Saint Vulbas

Le terrain «FIGUE» se situe dans les landes de la plaine de l’Ain, au sud sud-ouest d’Ambérieu en Bugey, à 2 kilomètres au nord nord-ouest de Saint Vulbas, au lieu-dit ‘Curebourse’. Ce terrain a été proposé à l’homologation de la RAF par le réseau ‘Combat’.

Le premier atterrissage, opération ‘Buckler 1’, sur le terrain ‘Figue’ fut programmé pour la nuit du 16 au 17 juillet 1943 à partir d’un bimoteur Hudson venant d’Angleterre et piloté par le Colonel FIELDEN avec pour équipage Commandant WAGLAND et Sergent SHINE. Opérateurs au sol : PERY et de BEAUFORT. Le message d’exécution était «Le jardinier est amoureux».Dans l’impossibilité d’établir le contact dans le secteur prévu, l’appareil continue son vol  vers Alger.

A bord de l’appareil, les deux passagers, Emmanuel d’ASTIER de LA VIGERIE et Jean-Pierre LEVY sont déposés à Alger.

Nuit du 24 au 25 juillet 1943, un Hudson, avec pour équipage le Commandant VERITY, Commandant LIVRY et Sergent SHINE, doit se poser sur le terrain dans le cadre de l’opération ‘Buckler’ sous la responsabilité de Paul RIVIERE. Le message d’exécution était «Le jour se lève». Opération réussie.A l’arrivée, Emmanuel d’ASTIER de LA VIGERIE et Jean-Pierre LEVY, au départ, 8 passagers, dont : François de MENTHON, DEGLISE-FABRE, BERTHIER, Georges LIBERT, Victor BEAUFOL, Capitaine Claudius FOUR, Gérard BRAULT et Maurice ROCHBACH.

La troisième opération, opération ‘Thicket’, sur le terrain ‘Figue’ était programmée les 27 et 30 mars 1944 pour un doublé de Lysander. La RAF donnait son accord à la condition expresse que l’arbre ou les buissons gênants se trouvant sur le terrain soient coupés. Le 1er avril, l’opération de dégagement était réalisée et l’opération pouvait avoir lieu. Ce n’est que dans l’après-midi du 4 juin, que le message d’accord «Le petit mouton sera tondu» et le message d’exécution «La bergère n’a pas de coeur» étaient passés à la BBC à 13h 30 et à 19 heures, mais pas à 21h 15. Vers 22h 30, une bonne dizaine de personnes étaient arrivées aux Bergeries de Saint Vulbas, à proximité du terrain, il y avait là les responsables de l’opération : Jannick RIVIERE, André CHARLOT, Jean TRIOMPHE, ainsi que les sept passagers au départ  et l’équipe de réception. Cette dernière était composée  de la famille d’Emile BARBACHOU (le père, la mère, la grand-mère et les deux enfants) fermiers demeurant aux Bergeries, Albert MARTIN et son épouse venant de Lagnieu et Francisque LEMARIA venant de Saint Sorlin en Bugey. Sur place, Emile BARBACHOU confirma que le message n’était pas passé à 21h 15, mais qu’il offrait à tous un casses-croute dans sa ferme. Vers minuit, un des invités, qui était sorti faire quelques pas, entendit  un ronflement et vit deux petits avions tourner autour de la maison. Alertés tout le monde fit des signaux : le chef d’opération installa en hâte son balisage et envoya sa lettre en morse. Les deux appareils se posèrent alors : deux Lysander venant de Calvi en Corse. Dès que les avions furent repartis, Jannick RIVIERE prit la route pour emmener jusqu’à Lyon les trois passagers arrivés.

Nuit du 4 au 5 juin 1944, depuis la Corse, deux Lysander, pilotés par le Capitaine VAUGHAN-FOWLER et Lieutenant N.H. ATTENBORROW, se posent sur le terrain dans le cadre de l’opération ‘Thicket’ sous la responsabilité de Jannick RIVIERE. A l’arrivée, 4 passagers. Au départ, le Docteur REVESZ-LONG, PERRET, Louis CLOUET des PERRUCHES, TOUBAS et Michel PICHARD.

Jean TRIOMPHE dans ses Mémoire raconte :

«Une autre fois, nous avions une opération d’atterrissage sur ‘Figue’ en mai ou juin 1944, je ne me souviens plus très bien la date. Nous attendions deux Lysander . L’opération avait été signalée par les messages traditionnels. Au passage, précisons que les messages devaient être  répétés trois fois. La BBC  les passait à 13h 15, 19h 15 et 21h 15. si le troisième message  ne passait pas l’opération était annulée. Nous étions trois, la secrétaire de Paul RIVIERE, l’ancienne secrétaire de Bruno LARAT et un nouveau venu de Londres  qui sera chargé par la suite des parachutages su sud de la Région R-1 et moi. Nous étions arrivés avant le couvre-feu. A 21 h 15, pas de troisième message. Nous voila chez BARBACHOU, bien tranquilles, puisque l’opération était annulée, à casser la croûte, saucisson, pain blanc, un régal. Sur le coup de minuit, on voulait aller se coucher, coucher à la paille de la grange car il ne pouvait nous loger autrement. On sort, on va se soulager…et on entend des moteurs d’avion. On voit les deux petits avions qu’on a vite reconnus à leur silhouette particulière tourner au-dessus du terrain. On était à environ 150 mètres . On courut comme des dingues en faisant les lettres morse du terrain avec la lampe torche. Les avions ont atterri, et sont repartis. Mission accomplie.»

Dans la nuit du 10 au 11 juillet 1944, depuis la Corse, deux Lysander, pilotés par deux officiers français de l’Armée de l’Air, les Lieutenants  Georges LIBERT et Bernard CORDIER tentent, en vain,  de se poser sur le terrain dans le cadre de l’opération ‘Ticket 2’ sous la responsabilité de Monsieur BARBACHON. L’opération est reportée au lendemain.

Bernard CORDIER dans ses Mémoires raconte :

«Ce sera le 10 juillet 1944 que LIBERT et moi sommes désignés pour une double opération sur le terrain ‘Figue’ qui est situé à 20 kilomètres au nord-est de Lyon ; tout à côté du champ de manoeuvres de la Valbonne. Vers 23 heures, c’est LIBERT  qui décolle le premier du terrain de Borgo et je le suis aussitôt. Décollage pénible car le Lysander malgré ses 800 Cv est chargé de 3 passagers et d’un réservoir de 200 litres. Je me traîne à 100 mètres d’altitude au second régime car les volets de bords d’attaque refusent de rentrer. Je ne peux même pas passer les petites colline du Cap Corse mais après un piqué jusqu’au ras des vagues, les volets rentrent et le Lissy veut bien prendre l’altitude de 3000 mètres. Vol sans histoire au-dessus de la vallée du Rhône. Très peu de Flak. On voit seulement quelques petites boules oranges qui semblent monter assez lentement mais tout de même passent très vite lorsqu’elles arrivent à hauteur de l’appareil.

Vers 2 heures du matin, nous tournons autour du point de rendez-vous, mais sans voir les 3 lampes torches qui indiquent le lieu de l’atterrissage, ni la lettre en morse du code. Après 15 ou 20 minutes de vol, nous décidons de retourner à Bastia ce qui fera 5 heures de vol pour rien. A Bastia, on a pu avoir un contact radio avec Lyon et nous décidons de repartir le soir même. Les 3 passagers de chacun des avions n’étaient pas pourtant guère enthousiastes de passer une seconde nuit dans le Lysander, debout et serrés comme dans une boîte de

sardines. Cette fois-ci nous avons un beau repère sur la côte française. Toulon venait d’être bombardé par les Américains et on voyait les flammes dès le décollage.

Arrivés au lieu de rendez-vous, le balisage était bien en place ; 2 lampes torches fixées sur des piquets indiquaient là où il faut toucher des roues et la troisième à 110 mètres indiquait le sens de l’atterrissage face au vent. Georges se pose le premier et je tourne au-dessus du terrain en attendant qu’il redécolle.

Je constate alors qu’l y a beaucoup d’activités sur le champ de manoeuvres de La Valbonne, les Allemands faisant des exercices de nuit avec des tirs réels et fusées multicolores. Voyant que Georges ne repartait pas et le sol m’envoyant la lettre du code en morse, je me pose à mon tour et Georges vient me dire ‘J’ai calé mon moteur et vidé la batterie. Rien à faire’ Il faut savoir que le moteur Hercules était excellent mais avait le défaut particulier aux moteurs sans soupapes, il refusait absolument de démarrer lorsqu’il était chaud. Alors attendre 2 heures qu’il refroidisse et la batterie à plat ? Les Allemands de la Valbonne avaient peut être entendu les 2 avions et allaient arriver sans tarder. Il fallait partir au plus vite. On demande à l’agent chargé de l’opération de mettre le feu à l’avion dès que tout le monde aura quitté le terrain et Georges monte à la place arrière de mon avion.

Le Lysander était beaucoup plus léger, je prends le cap direct vers la Corse en survolant toutes les Alpes. La nuit était très belle et j’admirais les sommets neigeux lorsque à hauteur de la Barre des Ecrins, je découvre un ruisseau d’huile qui coule entre mes jambes. Panne possible et peut-être proche et le sol n’est guère hospitalier. Toutes les vallées sont dans le noir le plus absolu, la lune ayant disparu. Pas question de sauter en parachute. Le passager n’en ayant pas, la coutume dans la RAF voulait que le pilote retourne les sangles du sien  pour ne pas être tenté de s’en servir. Je dis à Georges que nous allons avoir des ennuis et il me répond ; ‘ J’ai perdu mon avion, débrouilles-toi avec le tien’. Heureusement, le réservoir  d’huile est assez important pour les moteurs sans soupapes et comme il se trouvait dans le dos du pilote je pouvais sentir avec ma main la hauteur d’huile chaude et je constatais que le niveau ne baissait pas trop vite. En effet, nous avons pu regagner la Corse de justesse.»

Jean TRIOMPHE dans ses Mémoires raconte :

«Par contre, sur le terrain ‘Figue’, il n’y avait pas de sécurité. On menait l’opération à deux venant de Lyon, sur ce terrain  que les Allemands utilisaient de temps en temps. Une fois, c’est le paysan complice propriétaire  du terrain Monsieur BARBACHOU qui avait entendu le message, qui savait que l’atterrissage était pour le soir (entre minuit et deux heures du martin) qui a assuré l’opération tout seul ! Mais figurez-vous que l’un des deux avions n’a pas pu repartir. Le moteur  avait calé. En général, les avions n’arrêtaient pas leur moteur, par précaution, parce qu’une fois très chaud il a parfois du mal à repartir. A cent cinquante mètres de la maison, il est vrai très isolé. Avec le pilote, ils ont décidé de bruler l’appareil. Le lendemain, BARBACHOU est allé aux gendarmes de Lagnieu ; ‘Venez voir, il y a un avion brulé dans mon champ !’. Ca n’a pas eu de conséquences  pour lui. Mais nous avons alors considéré, c’est le cas de dire, que le terrain était brûlé et nous ne l’avons plus utilisé.»

En 1992, le Cinquantième anniversaire de ces missions spéciales, fut marqué par l’inauguration du monument en ‘Hommage aux passeurs du clair de lune’, monument  conçu par Marius Roche, Homme de la Résistance et Membre des Vieilles Tiges. Lors de cette commémoration, étaient présents les principaux acteurs de ces missions (des pilotes, des agents de la Résistance chargés de l’organisation au sol, des acteurs anonymes ) aujourd’hui, hélas, tous ont disparus. La mémoire d’agents de la Résistance morts dans l’accomplissement de leur mission n’était pas oubliée, une pensée pour Pierre Delaye, officier radio tué à Loyettes le 11 mai 1943.

Aujourd’hui, alors que nous commémorons le 70e anniversaire de ces atterrissages clandestins, il y a lieu de rappeler que les opérations du 10 juillet 1944  sur le terrain ‘Figue’  furent exécutés, à partir de 2 Lysander pilotés par deux pilotes français depuis la Corse.  Il s’agissait de Georges Libert et de Bernard Cordier, deux pilotes au passé prestigieux. Nous vous les présentons:

Georges Libert (1909-2002), est breveté pilote en juillet 1929. A 24 ans, en 1933, il  participe  à la Croisière Noire, 17400 kilomètres en Afrique Noire sur Potez 25. En juillet 1937, il bat le record de vitesse sur Paris-Hanoï, soit 10000 kilomètres en 44 heures à une vitesse commerciale de 225 km/h. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, au sein du squadron 148 de la RAF, il participe à huit missions spéciales au profit des résistances intérieures. De 1945 à 1970, il fait une carrière prestigieuse à Air France, d’abord sur la liaison de l’Atlantique sud  sur    DC 4, puis qualification sur Constellation, chef du personnel navigant, il sera l’un des premiers pilotes d’ avion à réaction commercial sur Comet, et pendant 10 ans commandant de bord sur Boeing 707 avant de prendre sa retraite en janvier 1970. De 1982 à 1991, Georges Libert assurera la Présidence de l’Association Nationale des Vieilles Tiges.

Bernard Cordier (1912-1993), né à Lyon, est breveté pilote en 1931. Il vole en tant que pilote de chasse dans  la Première Escadre au Bourget, puis en 1936, il est affecté au Centre de vol à haute altitude. En 1938, admission comme pilote de ligne à Air France. A la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il est affecté comme sous-lieutenant au Groupe de Chasse 2/4 sur Curtiss P 36 où il obtient quatre victoires. De 1941 à 42, il effectue des vols de liaison pour Air France en Afrique. De retour en France, il appartient à un réseau de renseignements alliés avant de quitter le sol français pour l’Angleterre en lysander le 15 juin 1943. Au sein du squadron 148 de la RAF, il participe à huit missions spéciales au profit des résistances intérieures. En juillet 1945, il retrouve Air France, en août 1946, il est chef-pilote du réseau continental, et en novembre 1947 commandant de bord de Constellation sur la ligne Paris-New York. Le 15 août 1948, lors d’une traversée, il reçoit un appel du Christ. En février 1950, Bernard Cordier entre à l’abbaye de Citeaux comme trappiste et sera ordonné prêtre le 18 mars 1961. Il est envoyé dans des congrégations au Cameroun, puis en 1963 au Zaïre. En 1983, Bernard Cordier revient à Citeaux pour reprendre une vie de communauté et devenir Frère Baudouin. Il décède à l’abbaye de Citeaux en septembre 1993.

TERRAIN  ‘FIGUE’  à  LOYETTES

A Loyettes, plaque sur la façade d'une maison,

TERRAIN  ‘LIEVRE’  à  SAINT VULBAS

Monument situé au lieu-dit 'La Bergerie' sur la commune de Saint Vulbas.

Historique des opérations clandestines dans la plaine de l’Ain au cours de la Seconde Guerre mondiale  (C)  C.A.L.M    08/2013

Merci à Philippe Treillet

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