Ci-dessous un post de Mathieu Ricard qui décrypte SON analyse et qui n’engage que lui.
Viande végétale VS viande animale, by Mathieu Ricard: une alternative souhaitable pour tous ?
Ce billet de blog s’appuie en grande partie sur l’article du journaliste rédacteur en chef de la rubrique « Environment » du journal The Guardian, Damian Carrington, publié le 12 juin 2019. (1)
La viande d’origine animale : un produit contraire au respect des animaux et catastrophique pour l’environnement
Le cabinet de prospective stratégique A.T. Kearney, localisé à Chicago, a récemment conclu dans une étude que 60% de la viande produite en 2040 sera issue de culture in vitro à partir de cellules souches, ou de substituts végétaux au goût et à la texture similaires à ceux de la viande traditionnelle. Dès lors, plus de la moitié de la viande ne sera plus issue d’animaux élevés pour être tués. Cette étude revient sur deux problématiques majeures qu’engendrent la production conventionnelle et la consommation de viande : elles sont contraires au respect des animaux et elles ont des impacts très lourds sur l’environnement. (2)
On estime à un peu plus de cent dix milliards le nombre d’homo sapiens qui ont existé sur Terre depuis l’apparition de notre espèce (3) (n’oublions pas qu’il y encore 10.000 ans nous n’étions qu’environ 5 millions d’humains sur la planète). Or c’est le nombre d’animaux terrestres et marins que nous tuons tous les deux mois, comme si de rien n’était. Alors que la science et le bon sens reconnaissent à la plupart des animaux une conscience, des émotions et le désir d’échapper à la souffrance et de rester en vie, la cohérence de notre éthique est sérieusement mise en question. Pouvons-nous continuer longtemps à nous arroger le droit du plus fort ou du plus « intelligent », pour instrumentaliser, faire souffrir et tuer sans merci autant d’êtres sensibles ?
Par ailleurs, il a été démontré à de nombreuses reprises que l’élevage constitue la deuxième plus importante cause d’émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique (15% du total). Selon Joseph Poore et Thomas Nemecek de l’université d’Oxford, l’empreinte carbone du bétail est très élevée puisque ce secteur génère 60% des émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture. Il présente de nombreux autres inconvénients que les scientifiques détaillent dans une étude publiée en 2018. (4) Ils montrent entre autres que le secteur de la viande traditionnelle engendre également une surconsommation d’eau douce, une pollution des rivières et des océans par accumulation excessive de nutriments (eutrophisation), et la destruction d’habitats d’espèces naturelles néfaste pour la biodiversité. Il explique qu’un « régime végétalien est probablement le moyen le plus efficace de réduire [notre] impact sur la Terre. » Le rapport du GIEC des Nations Unies statue par ailleurs que si nous voulons limiter le réchauffement global à 2 degrés d’ici la fin du siècle (un objectif qui semble avoir malheureusement fort peu de chance d’être atteint), il faudrait, entre autres changements, que l’humanité réduise sa consommation de viande de 80%.
La culture de viande in vitro : une alternative prometteuse qui suscite un fort engouement
La culture de la viande non conventionnelle et l’utilisation de végétaux pour la production d’alternatives à la viande issue d’animaux présentent une meilleure efficience énergétique. En effet, les rendements énergétiques de la viande issue d’animaux sont très faibles: 83% des cultures sur la planète sont destinées à la production de viande bien que cette dernière ne génère que 18% des calories et 37% des protéines consommées par l’humanité (5). Aussi, seulement 15 % des calories initialement présentes dans les plantes sont réellement absorbées par les humains lorsqu’ils mangent de la viande traditionnelle. Alors que dans le cas de la viande de culture et des substituts végétaliens, environ les trois-quarts des calories générées initialement par les plantes arrivent jusqu’au consommateur final.
Ainsi, grâce à ces avantages, les produits végétaliens et la viande de culture ont les capacités de transformer le marché traditionnel. Chaque année des milliards d’animaux sont élevés et tués pour répondre à la demande de la production de viande qui génère entre 785 et 1 000 milliards de dollars par an. Or, certaines entreprises qui produisent des produits alternatifs à la viande (burgers végan, œufs brouillés à partir de pousses de soja et autres) connaissent une forte et rapide croissance. Elles peuvent compter sur la confiance des investisseurs. Par exemple, Beyond Meat a levé 240 millions de dollars lors de son introduction en bourse en 2019. Depuis lors, le cours de ses actions a plus que doublé. Le journaliste Damian Carrington décrit cet engouement en affirmant que « aux États-Unis, des entreprises spécialisées dans la viande et les technologies alimentaires démontrent qu’appliquer la science à notre alimentation peut sauver le monde et générer des revenus. » (6) Et les investissements dans ces technologies ne sont pas réservés qu’aux nouvelles entreprises. Selon AT Kearney, un milliard de dollars a ainsi été investi dans la recherche et la production de viande de culture et de produits végétaliens, toutes entreprises confondues. (7)
Une évolution encore incertaine
Cependant, malgré l’engouement que suscite le secteur prometteur de la culture de viande à partir de cellules animales, nombre de produits ne sont encore qu’à l’étude et non disponibles sur le marché. De plus, certaines personnes s’interrogent sur la manière dont ces substituts seront accueillis par les consommateurs. Mais l’inquiétude face à la viande de culture ne sera pas une barrière selon AT Kearney. Il faudra simplement lui laisser le temps de conquérir le marché : « la viande de culture gagnera à long terme, cependant de nouveaux substituts de la viande [produits végétaliens issus des plantes] seront essentiels pour la phase de transition. »
Cette évolution technologique crée donc un débat auquel il semble nécessaire que chacun prenne part afin de permettre à l’humanité de se poser les bonnes questions et d’y trouver des réponses positives pour les animaux, l’environnement et les êtres humains. Il est plus que temps de faire un progrès de civilisation du point de vue éthique et de préserver ce qui peut l’être encore de notre environnement.
Notes:
(1) Carrington, Damian. “Most ‘Meat’ in 2040 Will Not Come from Dead Animals, Says Report.” The Guardian, Guardian News and Media, 12 June 2019, www.theguardian.com/
(2) Carrington, Damian. “Huge Reduction in Meat-Eating ‘Essential’ to Avoid Climate Breakdown.” The Guardian, Guardian News and Media, 10 Oct. 2018, www.theguardian.com/
(3) Selon les estimations du Population Reference Bureau (PRB) : https://www.prb.org/
(4) Nemecek, T, Poore, J. “Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers.” American Association for the Advancement of Science. 1 Jun. 2018. https://josephpoore.com/
(5) Carrington, Damian. “Avoiding Meat and Dairy Is ‘Single Biggest Way’ to Reduce Your Impact on Earth.” The Guardian, Guardian News and Media, 31 May 2018, www.theguardian.com/
(6) Carrington, Damian. “The New Food: Meet the Startups Racing to Reinvent the Meal.” The Guardian, Guardian News and Media, 30 Apr. 2018
(7) Allen, Mary.“The World’s Third Largest Meat Producer Just Invested in Cell-Based Steak.” The Good Food Institute, 14 May 2019, www.gfi.org/cargill-invests-