En particulier spécialiste en matière de droit de la vigne, Me Michel Desilets, avocat au barreau de Villefranche-sur-Saône vient de commettre un très  intéressant article sur les droits de plantation.
Un sujet qui agite depuis quelques temps le landerneau viti-vinicole, suite aux réflexions de Bruxelles en la matière.
Notons que cet article, sur un sujet délicat, est clair et qu’il pose avec objectivité toutes les préoccupations concernant ce sujet d’actualité, tant il est vrai que les enjeux sont d’importance.
Michel Godet

LA SAGA DES DROITS DE PLANTATION

Le système de régulation des droits de plantation est une invention française. Il permet de contrôler le marché de la production des vins.
Le décret du 30 septembre 1953 relatif à l’organisation, à l’assainissement du marché du vin et à l’orientation de la production viticole a instauré une stricte discipline ; sans droits de plantation administratifs aucune surface équivalente en vigne ne peut être plantée.
L’objectif était alors tant de restructurer le vignoble français avec des cépages qualitatifs, que de réduire la superficie de vignes produisant des vins de table ou de consommation courante.
L’arrachage d’une vigne donnait à l’exploitant des droits de plantations, dans ce cas appelés droit de replantation sur une surface équivalente.
Tout accroissement de surface devait se faire avec des droits nouveaux, attribués suivants des critères prédéfinis : jeunes viticulteurs s’installant ou vignobles en expansion justifiant de débouchés commerciaux.
Sous certaines conditions, il était également possible de transférer des droits de plantation entre exploitations, voire entre régions viticoles. Les droits administratifs devenus éléments d’actif se sont ainsi patrimonialisés.
A compter des années 1970, lors de la mise en place de la première organisation commune de marché vin (OCM vitivinicole), le système a été transposé au plan communautaire dans son principe, et progressivement étendu, chaque pays européen conservant néanmoins des
spécificités.
Cependant, ces mesures prises à une époque de surproduction sont progressivement apparues lourdes et insusceptibles d’anticiper les évolutions des marchés.
Le règlement n°1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999, a restreint les plantations cherchant à mieux adapter l’offre à la demande.
Ce système coercitif était ressenti par certain comme extrême dans une Europe marchande cherchant à consolider ses parts de marché.
Ainsi, le règlement CE n°14792008 du Conseil du 29 avril 2008, a prévu un régime transitoire des droits de plantation devant déboucher sur la disparition de leur contingentement, en décidant de ne pas maintenir le régime actuel au-delà de 2015.
Il s’agissait d’une véritable révolution.
La Commission proposait de passage d’un régime régulé par l’autodiscipline professionnelle à un système totalement libéralisé.
Les promoteurs de cette réforme considéraient en effet que la disparition des droits de plantation permettrait d’accroître la compétitivité des producteurs de vin dans l’Union européenne, ainsi que de reconquérir des parts de marchés au niveau mondial.
Pour la Commission, le nouveau régime renforcerait la réputation des vins européens, préserverait les traditions de productions viti-vinicoles européennes, et renforcerait le rôle social et environnemental de la viticulture dans les régions productrices.
Les pays viticoles membres de l’Union européenne, considérant le projet comme dangereux, réagissaient et obtenaient une première concession avec le report de 3 ans de la date butoir de la disparition du système au 31 décembre 2018.
Ils ont fait valoir que la libéralisation totale engendrerait de nouvelles crises de surproduction.
L’exemple de la Champagne était pris pour démontrer les bienfaits d’un encadrement du potentiel de production, permettant d’équilibrer le marché et de garantir un revenu à l’ensemble des opérateurs.
Le système champenois limite les plantations ou les stoppe pendant une certaine période (en général 5 ans) dès lors que des crises surviennent et entraînent une baisse de 20 % des ventes.
Ce blocage de toute extension du potentiel assainit le marché.
Les responsables du Cognac démontraient, au regard de la superficie non encore plantée dans l’aire d’appellation, que la production pouvait augmenter de près de 700 % en quelques années, ce qui conduirait immanquablement à la faillite de ce fleuron de nos exportations.
Les initiatives se sont multipliées pour contraindre la Commission à revenir sur sa décision, mais les règles de fonctionnement des institutions communautaires exigeaient une majorité qualifiée pour espérer y parvenir.
La réunion de 14 états membres sur 27 était nécessaire pour obtenir une majorité qualifiée.
Les Etats traditionnellement producteurs unanimes, n’étaient pas assez nombreux.
Un lobbying important et une mobilisation forte ont été déployés à l’endroit des pays non producteurs.
La tâche était ardue car une querelle interprofessionnelle sous-jacente opposait le négoce, en général favorable à la libéralisation, aux producteurs dans leur grande majorité opposés.
Comme il est de règle en matière communautaire, les décisions sont obtenues à force de compromis. Ils permettent aux différents partenaires de sortir par le haut de l’impasse en ménageant les susceptibilités.
Progressivement, le débat a évolué.
L’alternative n’était plus d’être pour ou contre le maintien des droits de plantation, mais de savoir par quel système remplacer celui qui allait prendre fin en 2018.
L’idée de refonte du système s’est accélérée dans le dernier semestre 2012.
La Commission Européenne a mis en place un Groupe de réflexion à Haut Niveau (GHN).
Réuni à PALERME le 21 septembre 2012, le groupe s’est penché sur les conséquences de la suppression de tout contingent.
Sans remettre en cause la suppression du système des droits de plantation qu’elle appelait de ses vœux, la Commission européenne a admis le principe de l’instauration d’un système européen de gestion des plantations.
Le 2 octobre 2012, le Commissaire européen à l’agriculture Dacian CIOLOS confirmait que toutes les catégories de vins, qu’elles bénéficient ou non d’une indication géographique, avait besoin d’être régulées et que la libéralisation totale n’était plus une option.
Une brèche s’ouvrait et des manifestations étaient organisées à BRUXELLES par les opposants à la libéralisation des droits de plantation plus que jamais décidés à faire entendre leurs voix à l’approche des nouvelles réunions du Groupe de réflexion à Haut Niveau.
Le Commissaire européen à l’Agriculture rencontrait les représentants de l’association des régions européennes viticoles (AREV) et concédait vouloir laisser chaque Etat membre gérer les modalités des futures autorisations de plantation, afin de tenir compte de la particularité des organisations professionnelles des différents pays.
L’édifice de la réforme se fissurait d’avantage mais le maintien des droits de plantation n’était pas encore acquis.
Les dernières propositions de la Commission européenne prônaient une régulation uniquement pour les vins avec IGP et AOP. Les vins sans indication géographique (vins sans Indication Géographique, ancienne catégorie des vins de table, en France actuellement vins de France) restaient placés sous un régime de libéralisation totale.
Le 14 décembre 2012, le Groupe à Haut Niveau, remettait son rapport à Dacian CIOLOS, et concluait à la nécessité absolue de maintenir un dispositif d’encadrement des plantations de vignes au sein de l’Union européenne pour toutes catégories de vin (appellation d’origine
protégée AOP, indication géographique protégée IGP et vins sans indication géographique VSIG), à l’issue du régime actuel, soit postérieurement au 31 décembre 2015 – 2018.
Le GHN préconisait un système de régulation du potentiel de production viticole dans tous les Etats membres et pour toutes les catégories de vin, par un mécanisme de sauvegarde communautaire fixant la proportion des nouvelles plantations autorisées pour chaque Etat membre.
A charge pour chaque Etat membre de gérer son attribution.
Les autorisations devaient être accordées sur la base de critères de priorités objectifs et non discriminatoires établi au niveau européen.
Le 19 décembre 2012, le rapport du Groupe à Haut Niveau étaient présentées au Conseil des Ministres européens de l’Agriculture.
La discussion a porté sur la date d’entrée en application des nouvelles dispositions ; 2015 ou 2018, la France préférant disposer de temps et optant pour cette seconde date.
Aucune réponse n’a été donnée car le Groupe à Haut Niveau a préconisé une application de ses réflexions sur une période de six ans avec un bilan à l’issue.
Le spectre de la suppression totale du droit de plantation s’est considérablement éloigné, mais n’a pas définitivement disparu.
L’euphorie a conduit certains à penser que la Commission européenne faisait marche arrière et abandonnait son projet de libéralisation des plantations de vignes.
En réalité, rien n’est moins sûr. Un nouveau règlement communautaire encore au stade de l’élaboration doit intervenir.
Les normes issues de la réforme de l’OCM vin en 2008 étaient basées une production et des stocks européens en diminution, des prix et des exportations en progression corrélativement.
La faible récolte 2012 a permis de maintenir les prix, sans pouvoir répondre à la demande.
Ainsi, la Commission reste déterminée et ne se prive pas de rappeler qu’elle a financé un programme d’arrachage aidé fort couteux, pour permettre aux exploitants non compétitifs d’arrêter et à la production de contribuer à équilibrer le marché.
La logique semble purement économique et marchande.
Les millésimes à venir seront les juges de paix.
Michel DESILETS,
Avocat au Barreau de Villefranche-sur-Saône et ancien bâtonnier